Extrait N° 10 : page 462 + pages 486 – 489 « Le dixième projet »
Chapitre 1 : Edenia, Chemins, Fort de Mars et Grotte de la Squaw
Partie 3 : Aperçus en pointillé sur trois années, jusqu’au mardi 22 mars 2022 – Rédaction inachevée de la saga de science-fiction « L’épopée Humanis 21 »
« Vendredi 27 septembre 2019 : Le jeudi 23 mai 2019, Jehan s’éteint, épuisé, auprès de Fleur, l’amour de sa vie. Il s’est exceptionnellement glissé tôt dans leur couche, lui a confié, tendre et serein : « Je manque de forces aujourd’hui pour mon travail nocturne journalier… Je vais me laisser aller à ma vision du cheval fourbu qui s’allonge, fier de l’œuvre accomplie. ». Florence n’a pas voulu comprendre que sa formule énigmatique lui signifiait un épuisement trop extrême.
C’est en retournant dans leur chambre, une fois le café mis à filtrer, que l’inexpression du visage, son profil figé pesant sur l’oreiller, lui avait étreint la poitrine.
Tremblante et en larmes, elle avait contourné la lit, jambes fléchissantes de désespoir ; elle avait posé sa paume sur la hanche de son « Mamour », puisant durant deux longues heures la ressource d’accepter une fin aussi paisible, épargnée des affres d’une agonie.
Jehan était passé du sommeil à un au-delà de nos vies, comme il l’avait ardemment souhaité…
Sa disparition perturbe considérablement deux des chantiers majeurs de Chemins, la rédaction des deux dernières versions romancées de « La Caverne des Terreurs » et l’identification des innovations solidaires alternatives, que sa méthode avait révélées en masse, atteignant près des quatre millions d’entreprises à sa mort. ». […]
[…] « Mardi 22 mars 2022 : Mal réveillé, dans la Ram 2, Orphile parcourt les huit consoles de leurs deux jeux, reliées au Palais des Mirages par un coûteux montage par ondes, sur le modèle du trading haute fréquence, qu’ils ont pu s’offrir. Sans le moindre indice sur la largesse de Poucet-Edénia et de ses petits cailloux, que Bruce, par une filière roumaine de Gaby écoule au compte-gouttes, ayant tranché une fois pour toutes qu’il était hors de question de les intégrer à leur budget, ils assistent à la satisfaction de leurs demandes en supposant que les revenus de Chemins se bornent au cadre de leurs subventions…
Il écarquille les yeux : « Quand ma bien-aimée va s’arracher à Morphée dans notre Ram 3, je vais bercer son petit dej par une jolie histoire ! ». Une contribution émane d’un membre du clan familial de Mialet, les Dupuy, en l’occurrence leur aîné Laurent, dit « Lancelot ».
Vingt minutes plus tard, à sa Marjorie qui ingurgite son jus d’ananas à petites gorgées, l’autre Laurent, dit « Orphile », déverse l’ossature de la contribution qui l’a alerté.
– Notre Vert est allé se perdre dans les steppes du Kazakhstan, figure-toi. Il s’est acoquiné, à notre insu, à une certaine Lucile, avec qui Lancelot est entré en relation par l’intermédiaire d’un plus qu’étrange héros, un tourmenté…
– Calme-toi, s’il te plait. Reprends tout ça en séquençant… C’est un portrait, que nous a pondu Lancelot ?
– Quasiment. Plutôt d’eux qu’un seul. Et même, si on compte la maudite schizophrénie qui dédouble l’individu-phénomène qui fascine Lancelot, ils sont trois. « Nox » Nocher a effacé son passé de Martin Deslandes, aspiré par un vertige suicidaire. Sa culpabilité maladive est déroutante parce que générée par une exigence de dignité hors du commun. Respect inconditionnel de la justice et bonté illimitée en lui, fascinent tellement Lancelot qu’il a affublé ce double souterrain de Nox Nocher du nom de « Paladin ».
– Pas banal, en effet ! Et l’autre personnage ?
– Une jeune femme, à incorporer dans notre galerie des Voraces.
– En quel honneur ?
– Parce que Lancelot, dans son armature pour Mayamana, perçoit mal l’origine de sa fortune et qu’elle l’affecte à une destination tout aussi brumeuse.
– Toi, au moins, sois plus clair !
– Il mentionne des implants, des prothèses… C’est d’ailleurs parce que Nocher a servi de cobaye que Lancelot a remonté jusqu’à ce projet délirant…
– Qui est ?
– Accroche-toi ! Construire un campus, mais sous forme d’une citadelle géante, qui masque en elle des laboratoires ultra-pointus. Pour se livrer à de sombres explorations sur un « homme-machine » !
– On nage dans la fiction, là ! Il a recoupé ses infos ?
– Paladin est formel, et se plie à cette folie parce que Lucile prétend qu’elle servira à guérir le handicap, à redoter les amputés de leurs membres perdus… Le projet s’inscrit dans la ligne du « transhumanisme », le lieu en construction s’appellerait « Sapiensa », et Vert ne serait pas étranger à cet investissement.
Avisé de la piste à surveiller de près, Vallermont en touche un mot à Ronald Gournon, installé au rez-de-chaussée de l’Agence depuis qu’il lance « Alma-Zygo 7 », un pendant fraternel à « Charlie-Hebdo », dont le titre se réfère à la douleur du 7 janvier 2015 accolée au choix de rire à la face des tortionnaires et autres criminels fanatisés des « Furieux du Ciel ».
– Pour toi et ton pote Nicolas Fabrizio de « Charlie », ce ténébreux projet… Pour ma part, je conseillerais de le creuser en vérifiant s’il ne rejoindrait pas le dossier retenu par l’Union Européenne sur l’intelligence artificielle…
Ronald, resté longtemps songeur, a acquiescé :
– Des vapeurs sulfureuses, d’après Nico, sont dégagées par les plus gros projets UE. Atome et IA seraient de mèche… D’autre part, avec leur Vert-Théognis de leur Mondiopoly-Mayamana, pointent le nez des violences qui prolifèrent en proportion des fractures sociales, des compétitions hystériques entre Etats et fortunes… Je suis déjà en quête de bizarreries qui auraient lieu clandestinement, sortes de jeux de rôles, de combats entre « Superos » biscornus… Faits divers, attentats, tueurs de masse, noient de leur tapage ces montées de milices, d’expériences à la Frankenstein : nous, on dit « Vigilance ! ». »
