GRENELLE DE L’ENVIRONNEMENT : philosophiquement votre

Un «Philosophiquement vôtre» 

Choisir de s’étonner, de cultiver des interrogations, de celles que l’on ne trouve guère dans les commentaires les plus répandus

Environnemental et social

Ce n’est pas faire injure aux ONG co – optées pour le Grenelle et s’auto-désignant comme négociatrices, que de qualifier leur culture comme celle d’un environnementaliste « hors sol », pour user d’une métaphore agricole. Nous signifions par là des connaissances d’ordre technique en biologie, géographie, sciences de la terre, qui servent à produire des expertises sur les ressources minérales, végétales, animales. Auteurs de diagnostics sur les impacts résultant des modes de production appliqués à l’alimentation, à la santé, aux espèces, au climat, les ONG invitées à ce début de Grenelle sont effectivement qualifiées pour intervenir sur 4 des 6 groupes de travail. En revanche, gouvernance et développement économique ne relèvent pas de leurs compétences, et nous devons convoquer les absents du Grenelle qui seraient aptes à aborder les choix économiques au niveau qui leur convient, ce qui inclut pleinement le monde dit « du travail ». Cette rubrique cherche donc à recentrer la réflexion sur une double dimension du social, correspondant à une double orientation économique : sur le lien nécessaire qui unit l’écologie à une économie à dimension sociale et solidaire ; et sur la faisabilité d’une protection des emplois et de conditions de vie acquises si des exigences environnementales se heurtent à des intérêts mercantiles détenteurs des pouvoirs sur les produits et les services :

  • Il manque donc encore, à ce Grenelle amputé de moitié, une intégration des milieux humains aux gestions de ressources environnementales, conformément à une unité indissociable entre les activités collectives et leurs impacts qui est posée par l’écologie. Et puisque les niches où l’écologie fait se joindre le respect des éco-systèmes avec la dignité des hommes, sont occupées par des entreprises ni lucratives ni missionnées par des programmes publics, nationaux ou territoriaux, la mise en oeuvre de mesures environnementales passe par les entreprises sociales et solidaires soucieuses de valoriser et revaloriser la diversification des productions, les gisements d’emplois d’utilité collective, la qualité du travail et du lien qu’il véhicule, les circuits d’accès à des services vitaux.
  • La dimension internationale étant impérativement requise pour que les quelques intentions consensuelles résultant du Grenelle, se prolongent en actions relayées par les sociétés, en se pliant à leurs marchés et leurs gestions multinationales, déterminer des mesures à portée environnementale implique de se situer au cœur de stratégies lucratives, et des programmes publics que les Etats contractent pour les soutenir. Il s’ensuit qu’introduire des préoccupations environnementales dans une économie lucrative (que relaient des politiques publiques priorisant la compétition au détriment d’une qualité de vie et de la juste répartition de richesses produites), appelle à s’interroger sur les problèmes du travail et des travailleurs, en tous secteurs responsables de dégradations à corriger.

Groupes de mesures et besoins

La formule même du Grenelle, fonctionnant par juxtaposition de Collèges, chacun d’eux porteur de revendications corporatistes ou spécifiques, entraîne une préparation de mesures minimales, n’en déplaise aux prétentions d’innover que les déclarations médiatiques se plaisent à répéter. Car si l’initiative par elle-même est effectivement neuve, ambitieuse dans son intention déclarée, inédite par la mise en situation de faire se rencontrer des interlocuteurs jamais encore conviés à se confronter dans un cadre de négociations, il n’en résulte pas pour autant que les démarches, les méthodes de travail, les contenus traités, que mobilisent les séances préparatoires et le déroulement des réunions de groupes, manifestent des qualités de création, de rigueur, d’approfondissement s’élevant à la hauteur des attentes de la population et des besoins collectifs.

Cette rubrique de réflexion se conçoit comme le lieu où faire converger les éléments recueillis avec les investigations spécifiques que nous poursuivons jusqu’à la prise de décisions opérationnelles, législatives et administratives, et au-delà :

  • Avec les « Outils et documents » : reprenant les points, par synthèses, issus des sources institutionnelles, parlementaires, des audits qui sollicitent les professions et territoires, nous vérifions en quoi les préparations en phase 1 du Grenelle vont plus ou moins loin que les préconisations formulées par des études et diagnostics antérieurs ; aussi, nous marquons ce qu’ont oublié les Groupes de travail, et qui figurait comme prioritaire ou essentiel chez des acteurs sensibilisés à des problèmes de société renvoyant à l’environnement (nous pensons, par exemple à des pathologies dépendant de la nutrition, à des toxicologies laissées sans réponses)
  • Avec les « Veilles et Baromètres » : examinant les contributions émanant de tous horizons, condition, à notre sens, pour qu’un Grenelle accède à la dignité d’une consultation nationale, nous nous efforçons de relever les demandes avancées par des citoyens et micro-structures, et de les comparer aux thématiques du Grenelle. Il nous paraît, en effet, que non seulement le devoir d’un gouvernement lui dictait de constituer un outil permanent de veille citoyenne sur des enjeux aussi vitaux, mais aussi que le devenir des décisions retenues à l’issue d’une opération partielle, a toutes chances de prolonger les tensions qui traversent notre corps social sur des problèmes fondamentaux, qu’un Grenelle ponctuel n’aura pas réglés…

Coopter-Représenter-Participer

Trois logiques hétérogènes, voire en tension entre elles, interviennent dans la conception et le fonctionnement de négociations : nous estimons ne pas avoir à les hiérarchiser, mais jugeons qu’elles doivent prendre chacune leur juste part dans l’ensemble du processus engagé.

D’une part, le Grenelle gouvernemental convoque des instances en invoquant leur reconnaissance, qui est obtenue selon deux modes distincts :

  • La représentativité : 3 des 5 Collèges regroupent des organisations dont les membres ont été élus par leurs adhérents : syndicats professionnels de salariés, syndicats patronaux, collectivités territoriales (même si le suffrage ne joue qu’un rôle indirect dans leur cas).
  • La cooptation : C’est le cas pour les Collèges de l’Etat et des ONG ; y ajoutant des «personnalités invitées » dont la désignation et l’acceptation restent incertaines, de même que les contributions d’experts ne donnent pas lieu à des règles claires, pas plus que les désignations de participants et de négociateurs ONG…

D’autre part, nous en concluons que les deux premières procédures démocratiques ne couvre donc pas la totalité citoyenne qu’une opération comme est le Grenelle (comme seraient des Assises et des Etats Généraux) est en droit et se doit d’exiger : doit lui être opposée la participation de forces vives d’une société civile de plus en plus impliquée dans les solutions à proposer et à évaluer dans les Groupes de Travail mis en place, et qui reste écartée des préparations de mesures en raison du recours aux deux autres formes de sélection démocratique. Notre préciserons qu’un de nos propos dans cette rubrique visera à établir que les réunions en région et le forum gouvernemental sur Internet, prévues avec une phase 2, s’assimilent à des palliatifs de participation, substituts communicationnels sans rapport avec de la démocratie : celle-ci exige un partage dans le pouvoir de décision, excluant d’elle les seules activités d’expression ou de consultation, le libéralisme au niveau d’opinions relevant d’un autre domaine que celui de l’exercice collectif de volontés politiques…


Paradigmes, modèles, pluralité

Dans cette rubrique, notre raisonnement se donne d’abord pour objet de discuter de critères qui, au-delà de délimitations entre modèles voisins, inaugurent l’accès à un autre paradigme ; il s’ensuit une interrogation sur les possibilités et les faisabilités envisageables de compatibilités pratiques entre paradigmes. En introduisant la rubrique « Agriculteurs, paysans, ruraux », nous avons fait allusion à une différenciation à opérer entre cohabitation et coexistence : nous l’utilisons ici afin d’élucider comment les parentés entre deux modèles peuvent s’agencer ensemble, puis comment, avec l’altérité radicale qui sépare des paradigmes, fonctionneraient simultanément ces deux façons pour une collectivité de s’instituer économiquement, socialement, culturellement.

  • Repérer les homologies qui apparentent des modèles en dépit de leur antagonisme apparent, suscite une opportunité d’actualisation pour des travaux de Marx : soit au plan économique, ce qui nous précise en quoi le libéralisme et le socialisme forment deux modèles d’un même paradigme capitaliste, par leurs infrastructures communes qui instituent une identique appropriation des forces productives, à la différence près d’une possession étatisée au lieu de privatisée ; soit au plan sociologique, ce qui clarifie en quoi des facteurs d’aliénation faussent les projets d’action politique. Les affrontements relatifs à une détention de pouvoirs, légaux et coutumiers, sur la possession de biens, de leviers financiers et industriels, excluent une cohabitation durable entre eux ; en revanche, leur proximité de fonctionnement peut entraîner leur coexistence, sous forme d’un mixte qui entremêle et associe confusément les concours publics aux marchés lucratifs
  • Rendre concevable un au-delà des modèles peut s’inspirer des apports conjoints d’analystes comme Crozier avec la société bureaucratique, Bourdieu avec l’habitus, Touraine avec les personnalisations sociétales du social, Lévi-Strauss avec les cohérences d’une pensée magique ; outre des interprètes de systèmes globaux que sont Thom, Castoriadis, Edgar Morin En situant, par leurs outils comparatifs, ce qui particularise les mentalités et mœurs qui inspirent l’économisme actuellement dominateur, on discerne alors que l’uniformisation violente imposée par cette idéologie fait obstacle à rechercher des paradigmes différenciés, conditions de mieux-être ensemble humainement, de tolérances, de libérations de créativité : il s’agit de déconstruire les imageries illusoires sur un « progrès » technocratique problématique, impensé ; d’expliciter des options d’évolutions collectives telles que le productivisme, avec une décroissance hâtivement décrétée qui forme son modèle antagoniste…

C’est à propos de l’émergence actuelle d’un paradigme à la fois politique sur la démocratie questionnée, économique sur un libéralisme destructeur, social sur un individualisme et des ethnocentrismes déshumanisants, culturel sur une commercialisation servile négateur du goût, que survient l’examen de la cohabitation entre ces alternatives.

Nous poserons que leur provisoire cohabitation, insidieuse et involontaire, dure autant que l’une, dominée, est dissimulée, souterraine, gommée par la dominante qui la refuse. Le passage à une coexistence, ouverte, fait en revenir à Marx et à la dialectique entre l’idéologie et les pouvoirs économiques, entre la volonté de transformer des conflits subis en une pluralité acceptée : cela engage des théorisations et des pratiques sur la complexité à initier, divulguer. Notre perspective : l’économisme est à éradiquer, sans coexistence admissible avec une économie solidaire, afin de rendre accessibles des tolérances culturelles, des coexistences entre paradigmes civilisationnels –le don et le marchand, par exemple. C’est croire que l’histoire n’est ni irréversible ni circulaire, qu’il s’y injecte une part de volontaire dans des conditionnements structurels : sans quoi, si des normalisations impersonnelles étaient seules efficientes, aucune évolution n’aboutirait à des sauts qualitatifs entre mœurs, mentalités, relations, rituels, constitutifs d’une irruption culturelle novatrice.