Celui que le blog désignera par « l’ami Gilles », communique avec « l’ami Diebs » par lettres. Nous sommes proches depuis les années 1960, même si, après les études supérieures à Paris, professions et autres facteurs familiaux ont espacé nos rencontres. C’est depuis le temps de la retraite que ces contacts se sont repris, comme si on ne s’était jamais très éloignés l’un de l’autre. Avec son accord, je saisis des fragments de ses envois pour les mettre en ligne à titre de commentaires de lectures de mon Tome 0. » JCD
Commentaire 1 – GD : Il est répondu à l’avance, par l’intermédiaire de Fleur, aux reproches d’excès de foisonnement intellectuel, embrassant trop de champs d’étude, tantôt très pratiques, tantôt très métaphysiques. Bouillon de culture, ou brouillons de cultures. Le médiocre correcteur de copies que je fus, dans une vie antérieure, a souvent préféré un brouillon foisonnant à un exposé linéaire trop lisse et sans surprise.
Réponde de JCD
Khriss, également, tient à se démarquer de Jehan, son « maître » qui l’a eu comme élève ne 1967. Fleur, Jehan, ainsi que celui qu’inspire l’ami Gilles, sont des personnages, de fiction : ils appartiennent à la catégorie de héros composites, pour lesquels j’ai puisé dans mon vécu, mais en modelant les éléments véridiques par une psychologie étrangère à leurs individualité. Ainsi, Jehan n’est que partiellement l’ami Diebs ; et mon « être littéraire, romancé » se partage avec Khriss, entièrement imaginé, qui va incarner une dimension que j’ai échoué à obtenir de moi, à savoir le talent d’organiser méthodiquement des activités, de canaliser la fougue réflexive et l’appétit surdimensionné de connaissances.
J’ajouterai que la saga est la version éditée, transposée de « L’épopée Humanis 21 » figurant dans ce roman, laquelle est écrite par tous les pionniers volontaires de Chemins. Autrement dit, elle se veut autant foisonnante à la Jehan qu’ordonnée à la Khriss… Cette dernière allure n’étant pas encore atteinte par moi, manifestement.
Commentaire 2– GD : Je comprends les choses ainsi : tu as ouvert des chantiers, recueilli des informations, créé des liens, des structures, pendant des décennies. Et tu voudrais que ce ne soit pas perdu ou confisqué, parce que cela déborde ta personne et ta vie. Plus que faire le point –nécessaire-, ton problème est de confier la barre. Mais à qui (pluriel), dans quelles directions ? Pour moi, la tâche n’est pas orgueilleuse mais sans fin. Observer, comprendre et transformer le monde !
Réponde de JCD
En plein au cœur de mes motivations… Je ne fournirai que deux éclaircissements.
Prolonger mes activités multiples et articulées entre elles par un témoignage romancé n’est pas d’abord justifié par « laisser une trace », mais par le jugement que j’opère (à tort ou à raison ? C’est le devenir de la saga, bouteille à la mer, qui en décidera), à savoir que quelques résultats de mes recherches et élucubrations méritent la divulgation. Sur « isocratie, privatisé ; sur 4 sciences humaines, dont images et langue, langages, 3 inconscients ; sur 9 gisements de richesses innovantes méconnues ; sur les investigations concernant une caste de milliardaires ; sur des jeux pédagogiques », par exemple. Considérant ces découvertes, études, conceptions, dispositifs, comme valides et susceptibles de débloquer des secteurs collectifs où l’on s’embourbe, en route pour en faire une histoire, s’intégrant à l’Histoire…
Quant à « confier la barre et à qui », cela s’adresse à des inconnus citoyens, outre à des organismes fréquentés de près ou de loin en cours de route. D’où une autoédition préalable qui me permet de diffuser des exemplaire, de mettre des extraits en ligne sur un blog. Parmi les destinataires du Tome 0 : mes amitiés, auxquelles il est dédicacé, incluant, par exemple, « Charlie Hebdo », Philippe Bertrand, Philippe Druillet –d’autres à venir. Des acteurs politiques forment les Prospecteurs de Chemins, aux identités fictives mais renvoyant à des individus existants : aux côtés de Keraven et Balain, se tiennent un Yvon Darmor et un « Topyk » où se lit Thomas Piketty…
La saga se range ainsi autant parmi la science-fiction comme « anticipation réaliste » que parmi les contes. Elle n’est pas sans fin, sera close en 2060 avec le départ d’Edénia, qui aura permis à Chemins de faire exister un pan d’espace public où s’échangeront ses perspectives sur l’avenir à inventer ensemble… Et au creux de mes espérances : que les amis et bloggeurs qui échangent sur Tomes et extraits se rencontrent en communiquant sur leurs points de vue. Que ceux que j’ai accompagnés, ou que j’ai admirés, appréciés, confrontent leurs compétences…
Commentaire 3– GD :J’en suis resté à l’étonnement d’observer, à l’émerveillement de comprendre parfois, au plaisir de faire de petites actions. Je suis bien incapable d’enrichir ta quête. Il n’y a pas de place pour moi dans le tétraèdre (p 13), ni dans la pyramide pentagonale, ni parmi les 40. Juste un ami.
Réponde de JCD
J’avais anticipé ton « verdict », tout en le contestant en partie (et tes analyses de mon Tome 0 appuient cette restriction). Inutile de souhaiter te tirer, t’attirer dans je ne sais quel « au-delà » de toi. Pourtant, avec tes compétences acquises, tes valeurs, je t’a composé un double qui est membre de Chemins ! Car les 6 pôles d’activités autorisent à participer-coopérer à l’aventure sans pour autant se vouloir « coordinateur » comme Khriss, ou multicartes comme Vallermont, Mathieu Graf… Donc, parmi les Exploreurs…
Commentaire 4 – GD :Pour te lire, je suis obligé de situer chaque personnage. Et tu ne m’y aides pas, utilisant tantôt le nom, tantôt le prénom, tantôt le surnom. Les grands créateurs de romans (Balzac, Flaubert, Hugo, Melville, Perec…), avec des fiches, des carnets, des figurines, des généalogies, des plans… ont préparé la combinatoire de leurs personnages, comme des scénaristes (théâtre, cinéma, opéra et ballets, B.D…). Ils ne manquent pas d’alléger l’effort de mémoire demandé au lecteur.
Réponde de JCD
Pour ce qui est de la préparation, je te suis d’autant mieux que j’ai enseigné la littérature pendant plus de vingt années. Des fichiers de biographies, j’en ai plusieurs pour les quelques 300 personnages déjà mis en scène dans mes brouillons de 16 Tomes. Quant aux carnets sur leurs péripéties, je les compte par dizaines !… Il est plus que délicat de réunir des détails cohérents sur leurs traits, leurs vêtements, ce qu’ils apprécient, la musique qu’ils écoutent, etc…
Ces derniers éléments complètent d’ailleurs le recours aux prénoms et surnoms qui évitent la lourdeur de répétitions gâchant la fluidité d’une écriture : très laborieux de se creuser la tête pour sortir une périphrase sur une de leurs manies, un détail vestimentaire, un aspect de leurs tâches, de leurs relations aux proches, etc. qui soulage d’avoir à les appeler par nom-prénom-surnom… Si on relit « Bel-Ami », de Maupassant, on y accède à un summum de la diversification dans la désignation de Georges Duroy, devenant Du Roy, « Bel-Ami », chaque fois nommé pour signifier une de des facettes (ambitieux, amoureux, séducteur, comploteur…). Martin du Gard, pour ses « Thibault », emplissait une alignée de trente mètres de plateaux pour loger son puzzle de fiches…
Je comprends que mon souci de vérité réaliste (car dans des groupes d’amis de longue date comme mes Pionniers, on s’est collé des surnoms), s’avère lourd, indigeste, déroutant pour le lecteur ; bien que j’aie tenu à suivre les procédés des « grands créateurs de romans » que tu cites.
J’implore l’indulgence, l’amateurisme, comme je pardonne à un Balzac du « Père Goriot », d’ « Eugénie Grandet », de me promener dans des assemblées nobiliaires, bourgeoises et une pension de famille, des affairistes de province et de Paris, bourrés de passants fugaces aux noms à mémoriser ou à oublier…
Commentaire 5 – GD : Lire, c’est s’engager sur un chemin tracé par quelqu’un d’autre. Le parcours peut être linéaire, très balisé, fixé selon l’ordre militaire d’une carte d’Etat-Major.
Dans « l’ordre littéraire » (3% des publications), le chemin est marqué par étapes. Entre chaque repère, il est plus ou moins possible de s’attarder ou de sauter telle description, telle scène secondaire. Il faut aussi imaginer, c’est-à-dire s’échapper du texte et baguenauder. C’est ce qui a rendu possible le succès de la revue « Sélection du Reader’s Digest ». Un prof de français présente aussi des extraits « choisis », des résumés d’œuvres incompressibles que peu d’élèves lisent en intégrale.
La balade peut être encore moins définie. Beaucoup d’incises, de renvois, d’annexes, de références, d’implicite, proposent autant de chemins de traverse possibles…
Quand le lecteur construit une cohérence (qui n’est pas que rationnelle) en cheminant parmi toutes ces croisées forestières, il s’y retrouve. C’est la magie des grandes œuvres (par exemple, l’Ancien Testament, ou Rabelais, ou quelques poètes…). Si le lecteur (moi, donc) ne s’y retrouve pas, c’est à classer parmi les « fous littéraires », recherchés par les curieux et quelques bibliophiles.
Malgré une lecture lente et difficile de ton ouvrage, je m’y retrouve. Et je m’en divertis bien. Alors, continue !
Réponde de JCD
Rien à ajouter, à part un gros, gros merci. Tu as magnifiquement restitué l’acte de lecture, qui fait partie intégrante d’une œuvre, le manuscrit n’étant qu’une matière à potentiels que chaque lecteur fait vivre à sa manière. Je ne sais trop à quelle catégorie appartient ma structuration de récit dans ce Tome 0 : il avait à injecter du « lourd », sur Chemins, Edénia, les Pionniers, un Dossier de candidature, la Grotte dans le Fort de Mars. Si bien qu’il concilie des balises avec bon nombre de chemins de traverse qui viennent en suspendre le déroulement… Pari plus qu’audacieux, tu ne l’envisages pourtant pas comme une « folie ». Sa lecture requiert non seulement de la lenteur, mais –tu n’en as pas parlé mais c’est impliqué dans ton propos- des allers-retours qui rafraîchissent des passages pour mieux avaler des suivants…
Commentaire 6 – GD : J’ai trouvé 3 entrées que je classe sans ordre parce que dans ton livre tout s’entrecroise :
1/- celle du professeur-chercheur contrarié, pressé d’enseigner et de construire.
2/- celle du militant –tout aussi contrarié-, voyant bien que transformer le monde déborde l’action d’un individu, d’un groupe, d’une génération, se méfiant des idéologues, récoltant tout ce qui est porteur d’espoirs de vie plus clémente ; collectant des informations précises sur des organisations économiques, financières et sociales concrètes, à dimension humaine, et voulant les partager, et construire des réseaux d’échanges.
3/- celle du créateur de jeux, de B.D., de théâtre, de chants…
Réponde de JCD
Une nouvelle fois, ton classement est bien vu, pertinent. Je n’y verrais que quelques points appelant à des clarifications… Et cela ne viserait que ton 2/. D’abord, « militant » est devenu caduc : je suis depuis une quinzaine d’années en quête d’options politiques introuvables dans les partis et mouvements existants. Keraven et Balain, ex-Verts, travaillent avec Yvon Darmor (ex-frondeur à la recherche d’une « autre gauche novatrice rassemblée ») et des électrons libres tels que Topyk, à creuser quelles formules ouvertes « d’isocratie » égalitaire, fraternelle et participative seraient à explorer, à partir d’expériences de gouvernances territoriales alternatives au modèle pyramidal, électoraliste et centralisateur. Ils animent les Prospecteurs de Chemins.
A une échelle moindre, locale et dispersée, autour de Jehan Mulheim et de Khriss, les Chemineurs visitent les innovateurs solidaires, souhaitant effectivement les faire et connaître pour partager leurs réussites : 4 millions d’entreprises !
Le « financier » concernerait les adversaires féroces des Prospecteurs et Chemineurs : la caste de 1810 milliardaires (existants, étudiés un à un dans ma documentation, sur qui les Enquêteurs, autour de Vallermont et ses « Cahiers Brouillons », rassemblent des fichiers sur leurs malversations d’affairistes.). Plus que les « idéologues », la mainmise des fortunes sur les sociétés, mondialement, distille une « idéologie dominatrice » qui gangrène les médias de masse, et leurs réseaux sociaux… Il ne s’agit pas de « complot », mais d’un fonctionnement structurel que la sociologie dissèque.
Il s’ensuit, de l’affrontement encore potentiel entre mondialisation libérale et alternatives solidaires (orpheline de mouvements politiques et sans médias autres que des « indépendants » écartés des espaces publics), que le « professeur-chercheur » ne se dissocie pas du « militant ». L’engagement pour la solidarité met les Formations aux sciences et au jugement critique démasquant les sophismes répandus collectivement, au service à la fois des innovants et des cultures de peuples encore guidés par un « temps cyclique », des « dons-contredons », des rituels initiatiques respectueux de l’animal, de l’étranger, que les Exploreurs démarchent pour évaluer en quoi leur actualité subsiste, n’a pas été broyée par un modernisme technocratique.
Enfin, pour le 3/, jeux et BD sont réservables au didactique, pour initier à des sciences et à une critique. Quant à théâtre, chants, et littérature (j’écrivais déjà des romans pour mes petits neveux à 8 ans), elle détient le pouvoir (cf. Kant sur le sublime et Edgar Morin) de sensibiliser, en accédant à une beauté vérace, d’avancer les prises de conscience sur les défis à relever, au-delà des Formations, trop rebutantes, trop complexes pour être accessibles à bon nombre de citoyens. Le sentiment épaule par sa dynamique le rationnel et l’éthique.
Ces éclaircissements reviendraient à ce qui va constituer la réaction au commentaire suivant : les compétences acquises par l’individu Diébolt ne s’ajustent entre elles que par complexité, par échanges transversaux entre ces trois « axes ». J’ai construit Mulheim et Khriss (plus un Martin Deslandes qui n’apparaîtra qu’au chapitre 7) comme une trinité qui se répartit mes acquis et centres d’intérêts…
Commentaire 5 – GD : J’ai trouvé trois entrées, mais dans un tel enchevêtrement que ma boussole s’affole ! Je suis perdu… J’ai depuis longtemps abandonné les questions impossibles, les « que suis-je ?, qui suis-je ?, où vais-je ? » Mais ne pas pouvoir calculer sa position est insupportable au marin ! Les gros livres me conviennent peu, j’ai besoin, pour lire et relire, d’un rythme de lecture, que je trouve dans le feuilleton-journal, les 248 pages des polars ; ou par des chapitres précédés d’un résumé.
Quant au surplus d’idées, ou plutôt à cet état d’esprit qui conduit à réfléchir en approfondissement et en extension à la fois, c’est une richesse à discipliner, mais c’est bien difficile.
Réponde de JCD
Dans l’expression des difficultés à s’y retrouver au sein de mon Tome 0, je relèverai qu’il accule, effectivement, le lecteur à se demander comment il se situe par rapport aux héros atypiques qui surgissent ; qui l’emportent vers des missions déroutantes, dépassant les vécus familiaux, le sel des relations avec des proches.
Eux, ils s’interrogent sur : « Vers quoi évolue notre monde, puisque les extensions d’une sphère économique couplée aux avalanches de nouvelles médiatiques, nous contraignent à tenir compte de ce qui se passe loin de nos existences individuelles ?». Or, il est rien moins qu’évident de dénicher une « boussole » qui nous marque un cap précis, dans un tel tourbillon d’évènements, dont bon nombre sont inquiétants ou obscurs.
J’aurais pu opter pour une sagesse, qui consiste à se vouloir modeste, humble, en renonçant à analyser une situation aussi complexe. Mes centres d’intérêts passés, pluriels, approfondis avec peine et obstination, m’ont conduit à choisir la quête de connaissances arides, exigeantes, réclamant en outre de s’engager à se donner à combattre les injustices. Je dois donc me résoudre à ce qu’un lecteur tiré vers la terreur à affronter de disciplines à conquérir dans leur essentiel, recule, abandonne.
A mesure que j’écrivais, que j’écris la suite, je traverse avant lui le « Chenal des Enfers » de la création littéraire ambitieuse, tel un Prométhée qui se lance à la conquête du feu céleste. Et je me console de ma médiocrité stylistique en me disant qu’améliorer ma rhétorique, savoir me montrer narrateur plus lumineux n’aurait pas changé grand-chose, car la difficulté à me lire tient à plus profond, à la complexité que je me suis donné pour objectif de transmettre…
Merci Gilles
Jean-Claude